Novartis en a fait les frais dès 2013 : son traitement contre la leucémie Glivec n’a pas réussi à obtenir un brevet en Inde. Coup dur pour les géants pharmaceutiques ou opportunité sur le marché des génériques ?
par Marc Boucard, docteur en droit, Avocat à la cour d’appel de Paris et spécialiste en droit des brevets.
Médicaments génériques en Inde : un risque pour les géants pharmaceutiques?
Le contexte
C’est une première dans le monde des génériques. Pour respecter ses engagements concernant les accords internationaux sur la protection des droits intellectuels (ADPIC) conclu dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce, l’Inde s’est dotée, en 2004, d’un nouveau droit sur les brevets autorisant, pour la première fois, les brevets de médicaments.
Une législation restrictive
Jusqu’en 2013, la question de breveter de nouvelles formulations d’un ancien produit, ou une molécule déjà connue associée à un autre élément, se pose dans tous les pays de l’OMC. La Cour suprême indienne a tranché : seuls les médicaments présentant une véritable avancée thérapeutique peuvent être brevetés. Il faut donc que l’efficacité supérieure de la molécule soit démontrée ou qu’elle soit novatrice. Peu de médicaments répondent à ces critères.
En pratique, la majeure partie des brevets de médicaments européens ou américains ne pouront bénéficier d’une protection équivalente en Inde. Tout simplement parce que, le plus souvent, il ne s’agit que du perfectionnement d’un principe actif déjà connu.
Cette situation juridique permet donc à l’Inde de continuer à fabriquer des médicaments génériques de la plupart des spécialités présentes sur le marché mondial, sans que les entreprises indiennes aient à verser de redevances aux propriétaires des brevets ou se voient interdire de commercialiser certains produits.
L’un des plus grands producteurs de génériques
On estime que 80 % des médicaments génériques, ou du moins des principes actifs les composant, proviennent de l’Inde et de la Chine. Un cinquième des génériques produits dans le monde seraient fabriqués en Inde, leader pour les produits luttant contre le sida (trithérapie), le cancer et la tuberculose. Ces génériques sont pour la plupart d’excellente qualité et répondent aux attentes du corps médical et des patients, même s’il existe encore certains comportements condamnables : dosages ne correspondant pas aux indications portées sur les emballages, médicaments non conformes à certaines législations ou vendus sur le web même dans les pays ou la molécule est protégée, sans contrôle médical.
Une industrie pharmaceutique compétitive…
… au point que certains laboratoires – Biocon, Cipla, Dabur, Lupin, Ranbaxy… – se lancent à l’assaut des nouveaux marchés : marché intérieur bien sûr, mais aussi, pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine – L’Europe et les États-Unis imposent des conditions d’autorisation drastiques et les essais cliniques indispensables avant la mise en vente dans ces pays entrainent des coûts énormes- bref, tous les pays où l’importation de médicaments n’est pas soumise à un examen administratif draconien et où la loi sur les brevets n’interdit pas la vente de génériques provenant de la nouvelle formulation d’une molécule déjà connue.
Avantage logistique : la jurisprudence de l’Union européenne tolère le transit sous douanes de ces produits, du moment qu’ils ne proviennent pas d’un pays de la communauté et qu’il est destiné à un pays extérieur. La question de l’acheminement ne se pose pas, même pour des produits nécessitant des précautions de transport courtes ou soumis à des conditions techniques (maintien de la chaîne du froid comme pour les vaccins, forme gazeuse…).
Faut-il abandonner le marché indien et celui des pays émergents ?
Lorsque la législation française a autorisé et même encouragé la substitution du princeps par un générique lors de la remise du médicament au patient, de très nombreux laboratoires se sont mis à fabriquer leurs propres génériques, souvent sur les mêmes chaînes de fabrication que les princeps, afin de ne pas perdre un volume de parts de marché trop important.
Une telle solution peut être transposable en Inde, soit par le biais de partenariats avec une entreprise pharmaceutique déjà existante, soit par la création d’un laboratoire local contrôlé par la maison mère française.
C’est la solution pour être présent sur les marchés de pays émergents et bénéficier, en recherche appliquée, des faibles coûts de recherches cliniques et de la souplesse de législation offerts par l’Inde.