Une joint venture est une opération complexe, quel que soit le secteur ou le contexte. Porte d’entrée privilégiée en Inde pour toutes sortes d’entreprises, elle peut ouvrir la voie à d’immenses marchés aussi bien qu’à de douloureuses désillusions, comme PSA Peugeot il y a quelques années, ou, plus récemment, le japonais Daiichi Sankyo avec le laboratoire Ranbaxy. Faut-il pour autant éviter absolument une joint venture en Inde ? Comment faire d’une alliance avec l’Inde un partenariat réussi ?
Une joint venture en Inde ? À éviter, si on peut…
Un mariage risqué
Pour Gaspard de Bordas, la joint venture est à éviter : « C’est un mariage entre deux cultures. Un mariage avec une culture commune a déjà du mal à tenir. En transculturel, ça fait encore plus de dégâts. »
Avis partagé par Bharat Khanduja, associé du cabinet d’expertise comptable Auréalys : «Aujourd’hui, dans la plupart des secteurs, 100 % du capital peut être détenu par un étranger. Mieux vaut alors y aller seul, en y mettant les moyens, que faire des joint ventures.»
Des intérêts divergents
Des échecs dus ne serait-ce qu’à des intérêts divergents : les entreprises indiennes sont très souvent des affaires familiales, qu’il s’agisse de PME ou d’énorme conglomérats du type Tata ou Reliance. Or « une famille n’a pas les mêmes intérêts qu’un entrepreneur individuel » rappelle Bharat.
Une joint venture est avant tout une stratégie
Meghna Prakash, juriste au pôle Inde du cabinet d’avocats Franklin à Paris, ne partage pas cet avis : « je pense qu’une joint venture peut être réussie à condition que chaque partenaire fasse son travail. Tout investissement est une décision commerciale et doit être prise en fonction des objectifs commerciaux, qu’il s’agisse d’une joint venture ou d’une acquisition à 100%. C’est important de le souligner. » Car, comme le reconnaît également Gaspard de Bordas, si les entreprises françaises veulent s’implanter en Inde, elles n’ont pas toujours des attentes bien précises.
Un passage obligatoire qui peut devenir une opportunité
Dans certains secteurs stratégiques, comme la défense, l’aéronautique, ou les assurances, la joint venture est obligatoire, les étrangers ne peuvent être seuls aux commandes.
L’opération présente des avantages : le rachat partiel ou total d’une entreprise indienne permet également de fabriquer directement en Inde tout en évitant –en partie- la complexité administrative à laquelle sont confrontées les entreprises étrangères en Inde.
Il y a aussi le cas des ETI ou PME, sous-traitants de gros groupes comme Thalès, Siemens…, qui doivent suivre leur client sur place. Ainsi, explique le consultant Didier Loiseau, si le contrat pour l’achat des Rafale est signé, les sous-traitants de Rafale, de Thalès, Dassault, Safran devront trouver des partenaires sur place. « Les grosses entreprises ont des moyens pour s’installer et sécuriser leur business. Les sous-traitants, eux, sont confrontés à des problèmes plus complexes.» Une JV pourrait leur simplifier la tâche.
Comment réussir sa joint venture ?
Une préparation minutieuse
Pour Meghna Prakash « lorsque les clients ont clairement élaboré leur stratégie, bien préparé leur projet et envisagé concrètement un maximum de cas de figure, tout se passe bien, ils en retirent une bonne expérience. Pour ceux qui se sont moins bien préparés, la situation peut devenir franchement difficile. »
Bien choisir son partenaire
C’est, selon Marita Maier (EY), le fondement de toute joint venture réussie. Car les Indiens peuvent avoir aussi leurs raisons d’accepter une joint venture. « Le propriétaire de l’entreprise est fier de son activité mais souhaite la développer avec un appui extérieur. Il n’est pas prêt à tout accepter. Ce qui peut devenir compliqué à gérer pour le partenaire lorsque l’entrepreneur indien souhaite maintenir sa famille en place ou s’assurer que ses fils prendront la relève. » La famille, encore et toujours, au cœur de l’entreprise.
Partager des valeurs et pas uniquement des intérêts
Les joints ventures qui fonctionnent n’ont pas que des fondements économiques et financiers. Elles reposent, notamment dans les ETI, sur des valeurs partagées par les entreprises associées : une même vision entrepreneuriale chez Arkadin; des entreprises familiales solides pour Mailhem et Ikkos Lhotellier.
Une due diligence réalisée à temps
Meghna Prakash insiste : « Il faut être sûr à 100 % de son partenaire, et une enquête de réputation est nécessaire. La réussite de la joint venture en dépend. »
Elle intervient souvent trop tard estime le consultant Didier Loiseau, une fois le partenaire choisi, alors que l’on discute déjà des aspects techniques et financiers. « Beaucoup d’entreprises choisissent leur partenaire en fonction de son volume et de sa crédibilité. Or, en cherchant bien, il apparaît souvent que les points forts du partenaire ne sont pas transmissibles lors de la joint venture. Ce dernier a, par exemple, réussi dans sa région, car il bénéficiait d’un énorme appui politico-administratif. Et lorsque la société française rachète 51 % ou 49 % des parts, cet appui disparaît. Ne restent que les problèmes. Jusque-là, c’était le manager indien qui réglait ces problèmes en permanence. S’il est remplacé, cela ne fonctionne plus. »
Se faire conseiller dès le début
« Je préfère être là dès le début, explique Meghna Prakash, afin de conseiller le client sur son projet : a-t-il besoin de produire sur place ? Que souhaite-t-il produire ? Où vaut-il mieux s’installer ? Avant la joint venture, nous devons appréhender les différences de perception entre l’entreprise française et son partenaire indien potentiel. Pour que la JV réussisse, les partenaires doivent être d’accord sur la majeure partie des points clefs. C’est une étape difficile, qui prend beaucoup de temps, mais nécessaire que ce soit pour conclure un accord ou stopper les négociations. »
Et afin que tout se passe bien, Meghna se rend disponible pour assurer le suivi. « Je vais en Inde régulièrement, et s’il y a besoin, je rencontre les partenaires indiens. Je reste proactive auprès de mes clients lorsqu’ils le souhaitent, sur le moyen ou long terme, selon leur besoin : c’est très flexible. »
Une organisation adaptée
Au sein de l’entreprise
« Lorsqu’une entreprise européenne rachète son partenaire indien, explique Marita Maier, elle remplace le CEO et le CFO par des expatriés, et laisse des Indiens à la direction commerciale et à la tête des RH. Mais il faut être sûr des compétences de l’équipe locale et expatriée. La difficulté pour les Européens est toujours de bien comprendre les Indiens et de ne pas trop bouleverser la structure existante. »
Dans le cas des entreprises familiales, comme Mailhem Ikkos, la famille fondatrice reste en place, la joint venture lui ayant permis de développer son activité. Mais il arrive aussi que l’entreprise n’évolue pas dans le sens souhaité par le partenaire. Qui se retrouve bloqué si la joint venture prévoit que les actionnaires sont à égalité.
L’importance de l’actionnaire majoritaire
Il est impératif qu’il y ait un actionnaire majoritaire, même à 51 % insiste Meghna Prakash. Le risque de blocage est autrement beaucoup trop élevé si les partenaires ne s’entendent pas. « Quand les relations ne sont pas bonnes, il est impossible de trouver un accord même pour les plus petites décisions. C’est la raison pour laquelle il est vital que l’un des deux partenaires ait le contrôle ».
Une opération délicate… avec l’Inde à la clef
Difficile de comprendre pourquoi une joint venture ne fonctionne pas en Inde. « Les entreprises qui ont des problèmes en Inde n’en parlent pas beaucoup, explique Didier Loiseau et ne veulent pas qu’on en parle. Chacun règle discrètement ses problèmes. C’est la même chose en Chine. Les Français qui s’y sont brûlé les doigts n’en parlent pas à leurs actionnaires ». La joint venture reste une opération délicate, où l’on doit surmonter des obstacles commerciaux, financiers, juridiques, mais aussi culturels.
Cependant, une joint venture réussie en Inde peut ouvrir la voie à des opportunités immenses et parfois inattendues : non seulement le marché intérieur est dynamique, mais l’Inde est également une porte d’entrée en Asie, voire rappelle Bharat Khanduja, sur l’Afrique avec laquelle les échanges ne cessent de s’amplifier.