Entrepreneur dans l’âme et fondateur d’Inde Direct, Abraham Thomas connaît par cœur les problématiques des PME qui veulent se lancer en Inde. Il en a lui-même fait l’expérience, avec une « start up » un peu particulière.
Une start up nommée…. Décathlon
Difficile d’associer le géant du sport à une start up. C’est pourtant dans cet esprit que Décathlon a abordé le marché indien.
Un marché peu attirant
Derrière cette réussite, deux hommes de l’ombre : Michel Aballea qui est, depuis, devenu le DG de Décat’ (comme on dit en interne) et Abraham Thomas, entrepreneur d’origine indienne, qui a accompli une partie de sa carrière chez l’équipementier de sport.
Fraîchement diplômé de Loyola College (affilié à l’IESEG school of management), le jeune Abraham Thomas apprend que Décathlon cherche à ouvrir un bureau de production en Inde. Il est aussitôt embauché. « En 1999, il y avait peu d’Indiens qui connaissaient Décathlon, Lille et qui parlaient français ». Il en profite pour essayer de convaincre Décathlon d’ouvrir des magasins en Inde. Sans succès : l’Inde est un pays pauvre, les infrastructures sont inexistantes. Comment pourrait-il y avoir un marché pour les articles de sport ? Bref, les oppositions en interne sont nombreuses.
Pourtant Abraham en est sûr pour l’avoir vécu, il y a un marché : » Quand j’étais enfant, on avait le choix entre des produits de très mauvaise qualité ou des produits de marque très chers, type Adidas. C’était frustrant. Et les Indiens qui voyageaient rapportaient des équipements pour leurs amis et leur famille. Il y avait un créneau à prendre dans le milieu de gamme. Et personnellement, j’en avais marre de voir l’Inde occuper les derniers rangs aux Jeux Olympiques. »
Des débuts low cost
Au bout de quelques années, Décathlon finit par se convaincre du potentiel de l’Inde. Oui, mais Abraham n’est plus vraiment disponible. « Ma femme était enceinte de notre deuxième enfant, bref, ce n’était pas vraiment le moment de partir. » Finalement, il s’envole pour l’Inde en 2007 en compagnie Michel Aballea, alors numéro 2 de Décathlon. « Nous savions que ce serait compliqué et nous avons commencé comme une vraie start up, avec peu de moyens, depuis notre maison. Notre bureau, c’était la voiture, pour chercher des terrains. Nous avons aussi partagé les locaux du bureau de production de Décathlon qui s’était bien développé. J’en garde un souvenir très sympa. »
Défricher la grande distribution en Inde
Et malgré tous les pronostics pour le moins pessimistes, « on a battu les records de rapidité d’ouverture d’un magasin, dans un nouveau pays. Jusque-là le record d’ouverture d’un premier magasin Décathlon était de 23 mois et avec certaines facilités. On suivait des groupes comme Leroy-Merlin ou Auchan qui avaient déjà des centres commerciaux et qui mettaient une parcelle de terrain à notre disposition. Là, c’était différent. Pour la grande distribution, l’Inde est un pays compliqué. Et nous sommes arrivés sans rien, personne ne nous avait balisé le terrain. Il n’y avait aucune donnée, aucun repère pour déterminer la stratégie. Et pourtant, nous avons ouvert le premier magasin en 16 mois, à Bangalore. »
Michel et Abraham optent pour une stratégie frugale, à l’indienne, avec pour objectif un chiffre d’affaires peu élevé, histoire d’être rentables rapidement. Il s’agit de minimiser les risques. Et ils sont nombreux : à l’exception de Metro et de quelques boites indiennes spécialisées dans l’alimentaire, il n’y a pas de grande distribution. Encore moins de magasin de sport.
Le premier Décathlon ne peut d’ailleurs vendre qu’en b-to-b pour des questions d’autorisation. Aller en Inde, « c’est un marathon et pas un sprint, il faut voir à long terme. Le paradoxe avec Décathlon, c’est que nous étions prêts à mener une guerre de tranchée. Mais cela n’a pas été nécessaire, ça a tout de suite marché. Nous avons été rentables dès la première année. Quand le gouvernement indien a vu ce qu’on pouvait faire, et les retombées positives en termes de sport et de santé pour le pays, il nous a accordé une dérogation pour vendre en b-to-c. »
La suite est connue : Décathlon a, depuis, ouvert 37 magasins en Inde, au rythme d’un magasin par mois. Et Michel Aballea est le nouveau DG de Décathlon.
Aux côtés des PME en Inde
On ne revient pas d’une telle expérience sans être profondément marqué. De retour en France, Abraham décide de donner un nouveau tournant à sa carrière : « je voulais aider les PME à réussir ce que nous avions réussi en Inde. Les grandes structures peuvent se développer avec de grands cabinets. Les PME n’ont pas forcément les talents en interne, ni le budget pour s’occuper du développement du business à l’international. »
Il y a une autre dimension qui l’attire: « Les PME, ce sont souvent des family business, en Inde comme en France. Il y a des traits communs entre les dirigeants, des valeurs qu’on retrouve. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire. » Et c’est ainsi qu’est né Inde Direct, un cabinet à taille humaine spécialisé dans l’implantation de PME françaises en Inde.
Mettre des compétences uniques au service du plus grand nombre
« Je pars du principe que je connais le pays et que le chef d’entreprise, lui, connaît sa boite. Et on voit ensemble ce qui est possible : développement commercial, recherche de partenaires… »
L’approche d’Abraham est originale : « Je suis un directeur commercial externalisé, ou à temps partiel. Je consacre entre une journée et une demi-journée par semaine aux entreprises que j’accompagne. C’est la solution idéale pour les PME qui ne peuvent se payer un directeur de développement en interne. » Et c’est le filon qu’Abraham donne aux des cadres quinquagénaires en reconversion (donc trop vieux et trop chers pour la majorité des entreprises) : donner du sens à sa vie professionnelle en mettant au profit des PME leur expérience, en temps partagé.
Pour être efficace, Abraham est exigeant : « Je sélectionne les projets et ne m’occupe que de ceux dont je suis certain du potentiel. Il faut que le projet me touche personnellement ». Dans les petites boites, c’est le patron qui fait la différence, c’est lui qui donne l’impulsion à l’entreprise. « Je choisis d’abord la personne, puis le projet puis j’évalue le potentiel en Inde. Si le patron est à côté de la plaque, même si l’idée est sympa, le projet ne sera pas viable à long terme. »
C’est une relation à long terme qu’entretient Abraham avec ses clients : « J’ai exactement le rôle d’un directeur export, sauf que je suis externalisé. J’accompagne les projets sur 4-5 ans, jusqu’à ce qu’ils soient viables par eux-mêmes. Dans mon contrat, il y a une partie variable indexée sur les résultats. Donc mon intérêt, c’est que ça marche pour la PME. »
Parler le même langage
L’expérience est tellement concluante dans certaines PME que les synergies vont plus loin : rachats, prise de parts. « C’est pour cela que les family business sont passionnants. Il y a peu de moyens mais les décisions sont très rapides, les PME jouissent d’une énorme flexibilité. C’est très important pour réussir sur ces marchés-là. »
Et c’est d’autant plus simple qu’Abraham, entrepreneur dans l’âme, parle le même langage que ses clients. «On se comprend très vite, contrairement à un gros cabinet et l’expérience plus sympa.» Résultat, il y a de tout : des entreprises de services, de meubles de bureau, de construction, quelques-unes dans le textile…
Et une fois en Inde ?
« En fonction des besoins, je mène le développement depuis la France, en lien avec mon partenaire en Inde qui, selon les besoins, va mettre les experts comptables, les avocats nécessaires sur le projet. Il s’agit, de toute façon, de quelqu’un que je connais bien et en qui j’ai toute confiance. Je me rends 4 ou 5 fois par an en Inde pour accompagner les phases critiques du développement. »
Difficile de faire son choix d’implantation ? « Je connais bien le sud du pays et Mumbai. J’ai voyagé pas mal dans le reste du pays lorsque je travaillais en production avec Décathlon. Mais pour mes clients, je me concentre en général sur Mumbai et Bangalore. L’ouest et le sud de l’Inde représentent 70% du PIB. »
De l’Inde vers la France ?
« J’ai aussi des clients indiens. Ils ne visent pas forcément la France au départ, plutôt l’Allemagne. Je suis basé en France et j’arrive à les attirer vers la France. Ils ont souvent des clients allemands, quelques clients français. Il s’agit de boites qui soit exportent déjà et veulent être près de leur clients, soit cherchent à investir dans des boites. »
Qui peut aller en Inde ?
Des vieux routiers de l’exportation
« Idéalement, je travaille avec quelqu’un qui a déjà exporté », explique Abraham. Les premiers rendez-vous sont consacrés à un audit, avant de déterminer la stratégie, pour connaître la capacité d’exportation de l’entreprise, obtenir les autorisations, les homologations. Certains secteurs sont sensibles, d’autres le sont moins. Certains produits sont homologués, d‘autres pas. A noter, certaines organisations comme BPI France couvrent en partie les risques d’export des PME.
« Il ne faut pas oublier que l’Inde est un pays lointain, surtout pour une PME exportatrice. Pour une PME lambda, mieux vaut d’abord exporter dans les pays voisins, pour commencer à se développer à l’international et se former » recommande Abraham.
Pour le moment, les clients d’Inde Direct sont surtout basés à Lille. Question de réseau, mais pas seulement. « C’est une région très tournée vers l’extérieur, avec un fort développent international. Les entrepreneurs sont hyper dynamiques, ils ont envie de réussir et ne se laissent pas abattre. »
Et qu’est-ce qui les y attire ?
La taille du marché, le potentiel de croissance. Le développement en Inde se diffuse aussi bien géographiquement – depuis le sud et Mumbai vers le nord- que socialement : la proportion de pauvres qui gagnent moins de 2 dollar /jour est aujourd’hui de 25%, contre 40% de la population il y a encore quelques années. Avec 1,2 milliard d’habitants, le marché potentiel est énorme.
D’autant plus, rappelle Abraham que si le pouvoir d’achat n’est pas le même, à l’aune de l’Inde, tout change. La classe moyenne ne gagne pas autant qu’en France. Mais, ce qui compte pour les PME, c’est qu’elle ait des revenus pour dépenser à la fin du mois. Quand on gagne 1500 € par foyer en Inde, (salaire de deux cadres ou un cadre supérieur en Inde) il y a de l’argent disponible pour bien vivre et pour les extras.
Toutes ces questions, Abraham les aborde à l’Afterwork Export à Lille tous les mois ainsi qu’au cours de déjeuners mensuels pour parler export et investissements. Il collabore également avec le Réseau Entreprendre, pour lequel il valide en tant qu’expert, les projets présélectionnés en lien avec l’Inde.