Une solution pour les PME françaises qui se lancent en Inde

Entrepreneur dans l’âme et fondateur d’Inde Direct, Abraham Thomas connaît par cœur les problématiques des PME qui veulent se lancer en Inde. Il en a lui-même fait l’expérience, avec une « start up » un peu particulière.

 

Une start up nommée…. Décathlon

Difficile d’associer le géant du sport à une start up. C’est pourtant dans cet esprit que Décathlon a abordé le marché indien.

 

Un marché peu attirant

logo DécathlonDerrière cette réussite, deux hommes de l’ombre : Michel Aballea qui est, depuis, devenu le DG de Décat’ (comme on dit en interne) et Abraham Thomas, entrepreneur d’origine indienne, qui a accompli une partie de sa carrière chez l’équipementier de sport.

Fraîchement diplômé de Loyola College (affilié à l’IESEG school of management), le jeune Abraham Thomas apprend que Décathlon cherche à ouvrir un bureau de production en Inde. Il est aussitôt embauché. « En 1999,  il y avait peu d’Indiens qui connaissaient Décathlon, Lille et qui parlaient français ». Il en profite pour essayer de convaincre Décathlon d’ouvrir des magasins en Inde. Sans succès : l’Inde est un pays pauvre, les infrastructures sont inexistantes. Comment pourrait-il y avoir un marché pour les articles de sport ? Bref, les oppositions en interne sont nombreuses.

Pourtant Abraham en est sûr pour l’avoir vécu, il y a un marché :  » Quand j’étais enfant, on avait le choix entre des produits de très mauvaise qualité ou des produits de marque très chers, type Adidas. C’était frustrant. Et les Indiens qui voyageaient rapportaient des équipements pour leurs amis et leur famille. Il y avait un créneau à prendre dans le milieu de gamme. Et personnellement, j’en avais marre de voir l’Inde occuper les derniers rangs aux Jeux Olympiques. »

 

Des débuts low cost

Au bout de quelques années, Décathlon finit par se convaincre du potentiel de l’Inde. Oui, mais Abraham n’est plus vraiment disponible. « Ma femme était enceinte de notre deuxième enfant, bref, ce n’était pas vraiment le moment de partir. » Finalement, il s’envole pour l’Inde en 2007 en compagnie Michel Aballea, alors numéro 2 de Décathlon. « Nous savions que ce serait compliqué et nous avons commencé comme une vraie start up, avec peu de moyens, depuis notre maison. Notre bureau, c’était la voiture, pour chercher des terrains. Nous avons aussi partagé les locaux du bureau de production de Décathlon qui s’était bien développé. J’en garde un souvenir très sympa. »

 

Défricher la grande distribution en Inde

Et malgré tous les pronostics pour le moins pessimistes, « on a battu les records de rapidité d’ouverture d’un magasin, dans un nouveau pays. Jusque-là le record d’ouverture d’un premier magasin Décathlon était de 23 mois et avec certaines facilités. On suivait des groupes comme Leroy-Merlin ou Auchan qui avaient déjà des centres commerciaux et qui mettaient une parcelle de terrain à notre disposition. Là, c’était différent. Pour la grande distribution, l’Inde est un pays compliqué. Et nous sommes arrivés sans rien, personne ne nous avait balisé le terrain. Il n’y avait aucune donnée, aucun repère pour déterminer la stratégie. Et pourtant, nous avons ouvert le premier magasin en 16 mois, à Bangalore. »

Michel et Abraham optent pour une stratégie frugale, à l’indienne, avec pour objectif un chiffre d’affaires peu élevé, histoire d’être rentables rapidement. Il s’agit de minimiser les risques. Et ils sont nombreux : à l’exception de Metro et de quelques boites indiennes spécialisées dans l’alimentaire, il n’y a pas de grande distribution. Encore moins de magasin de sport.

 

Le premier Décathlon ne peut d’ailleurs vendre qu’en b-to-b pour des questions d’autorisation. Aller en Inde, « c’est un marathon et pas un sprint, il faut voir à long terme. Le paradoxe avec Décathlon, c’est que nous étions prêts à mener une guerre de tranchée. Mais cela n’a pas été nécessaire, ça a tout de suite marché. Nous avons été rentables dès la première année. Quand le gouvernement indien a vu ce qu’on pouvait faire, et les retombées positives en termes de sport et de santé pour le pays, il nous a accordé une dérogation pour vendre en b-to-c. »

La suite est connue : Décathlon a, depuis, ouvert 37 magasins en Inde, au rythme d’un magasin par mois. Et Michel Aballea est le nouveau DG de Décathlon.

 

Aux côtés des PME en Inde

On ne revient pas d’une telle expérience sans être profondément marqué. De retour en France, Abraham décide de donner un nouveau tournant à sa carrière : « je voulais aider les PME à réussir ce que nous avions réussi en Inde. Les grandes structures peuvent se développer avec de grands cabinets. Les PME n’ont pas forcément les talents en interne, ni le budget pour s’occuper du développement du business à l’international. »

Il y a une autre dimension qui l’attire: « Les PME, ce sont souvent des family business, en Inde comme en France. Il y a des traits communs entre les dirigeants, des valeurs qu’on retrouve. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire. » Et c’est ainsi qu’est né Inde Direct, un cabinet à taille humaine spécialisé dans l’implantation de PME françaises en Inde.

 

Mettre des compétences uniques au service du plus grand nombre

Abraham Thomas fondateur d'Inde Direct

Abraham Thomas fondateur d’Inde Direct

« Je pars du principe que je connais le pays et que le chef d’entreprise, lui, connaît sa boite. Et on voit ensemble ce qui est possible : développement commercial, recherche de partenaires… »

L’approche d’Abraham est originale : « Je suis un directeur commercial externalisé, ou à temps partiel. Je consacre entre une journée et une demi-journée par semaine aux entreprises que j’accompagne. C’est la solution idéale pour les PME qui ne peuvent se payer un directeur de développement en interne. » Et c’est le filon qu’Abraham donne aux des cadres quinquagénaires en reconversion (donc trop vieux et trop chers pour la majorité des entreprises) : donner du sens à sa vie professionnelle en mettant au profit des PME leur expérience, en temps partagé.

Pour être efficace, Abraham est exigeant : « Je sélectionne les projets et ne m’occupe que de ceux dont je suis certain du potentiel. Il faut que le projet me touche personnellement ». Dans les petites boites, c’est le patron qui fait la différence, c’est lui qui donne l’impulsion à l’entreprise. « Je choisis d’abord la personne, puis le projet puis j’évalue le potentiel en Inde. Si le patron est à côté de la plaque, même si l’idée est sympa, le projet ne sera pas viable à long terme. »

C’est une relation à long terme qu’entretient Abraham avec ses clients : « J’ai exactement le rôle d’un directeur export, sauf que je suis externalisé. J’accompagne les projets sur 4-5 ans, jusqu’à ce qu’ils soient viables par eux-mêmes. Dans mon contrat, il y a une partie variable indexée sur les résultats. Donc mon intérêt, c’est que ça marche pour la PME. »

 

Parler le même langage

L’expérience est tellement concluante dans certaines PME que les synergies vont plus loin : rachats, prise de parts. « C’est pour cela que les family business sont passionnants. Il y a peu de moyens mais les décisions sont très rapides, les PME jouissent d’une énorme flexibilité. C’est très important pour réussir sur ces marchés-là. »

Et c’est d’autant plus simple qu’Abraham, entrepreneur dans l’âme, parle le même langage que ses clients. «On se comprend très vite, contrairement à un gros cabinet et l’expérience plus sympa.» Résultat, il y a de tout : des entreprises de services, de meubles de bureau, de construction, quelques-unes dans le textile…

 

Et une fois en Inde ?

« En fonction des besoins, je mène le développement depuis la France, en lien avec mon partenaire en Inde qui, selon les besoins, va mettre les experts comptables, les avocats nécessaires sur le projet. Il s’agit, de toute façon, de quelqu’un que je connais bien et en qui j’ai toute confiance. Je me rends 4 ou 5 fois par an en Inde pour accompagner les phases critiques du développement. »

Difficile de faire son choix d’implantation ? « Je connais bien le sud du pays et Mumbai. J’ai voyagé pas mal dans le reste du pays lorsque je travaillais en production avec Décathlon. Mais pour mes clients, je me concentre en général sur Mumbai et Bangalore. L’ouest et le sud de l’Inde représentent 70% du PIB. »

 

De l’Inde vers la France ?

« J’ai aussi des clients indiens.  Ils ne visent pas forcément la France au départ, plutôt l’Allemagne. Je suis basé en France et j’arrive à les attirer vers la France. Ils ont souvent des clients allemands, quelques clients français. Il s’agit de boites qui soit exportent déjà et veulent être près de leur clients, soit cherchent à investir dans des boites. »

 

Qui peut aller en Inde ?

Des vieux routiers de l’exportation

« Idéalement, je travaille avec quelqu’un qui a déjà exporté », explique Abraham. Les premiers rendez-vous sont consacrés à un audit, avant de déterminer la stratégie, pour connaître la capacité d’exportation de l’entreprise, obtenir les autorisations, les homologations. Certains secteurs sont sensibles, d’autres le sont moins. Certains produits sont homologués, d‘autres pas. A noter, certaines organisations comme BPI France couvrent en partie les risques d’export des PME.

« Il ne faut pas oublier que l’Inde est un pays lointain, surtout pour une PME exportatrice. Pour une PME lambda, mieux vaut d’abord exporter dans les pays voisins, pour commencer à se développer à l’international et se former » recommande Abraham.

Pour le moment, les clients d’Inde Direct sont surtout basés à Lille. Question de réseau, mais pas seulement. « C’est une région très tournée vers l’extérieur, avec un fort développent international. Les entrepreneurs sont hyper dynamiques, ils ont envie de réussir et ne se laissent pas abattre. »

 

Et qu’est-ce qui les y attire ?

La taille du marché, le potentiel de croissance. Le développement en Inde se diffuse aussi bien géographiquement – depuis le sud et Mumbai vers le nord- que socialement : la proportion de pauvres qui gagnent moins de 2 dollar /jour est aujourd’hui de 25%, contre 40% de la population il y a encore quelques années. Avec 1,2 milliard d’habitants, le marché potentiel est énorme.

D’autant plus, rappelle Abraham que si le pouvoir d’achat n’est pas le même, à l’aune de l’Inde, tout change. La classe moyenne ne gagne pas autant qu’en France. Mais, ce qui compte pour les PME, c’est qu’elle ait des revenus pour dépenser à la fin du mois. Quand on gagne 1500 € par foyer en Inde, (salaire de deux cadres ou un cadre supérieur en Inde) il y a de l’argent disponible pour bien vivre et pour les extras.

Toutes ces questions, Abraham les aborde à l’Afterwork Export à Lille tous les mois ainsi qu’au cours de déjeuners mensuels pour parler export et investissements. Il collabore également avec le Réseau Entreprendre, pour lequel il valide en tant qu’expert, les projets présélectionnés en lien avec l’Inde.

Lien Permanent pour cet article : https://www.theindianproject.com/solution-pme-francaises-en-inde/

Design en Inde : une aventure à tenter ?

« Le design en Inde n’a rien à voir avec ce qu’on voit en Europe », constate Thierry Betancourt, jeune designer installé à Bombay depuis 2009, et actuellement représenté par la galerie Nilufar à Milan. Alors, se lancer en Inde, niche en plein essor ou parcours du combattant ?

 

Le design en Inde, parcours du combattant et savoir-faire extraordinaire

Un parcours atypique

Le designer Thierry Betancourt

Thierry Betancourt

Qu’est-ce qui conduit un expert en mobilier européen du XVIIIe siècle de Sotheby’s vivant à New York à devenir designer à Bombay ? D’abord une rencontre inattendue avec Bombay. Invité à un mariage indien, il tombe sous le charme de la ville. « Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire dans cette ville. J’avais déjà été dans d’autres pays, au Mexique, au Maroc,… mais l’Inde, c’est incomparable. »

Ajoutez à cela la crise de 2008. Le crash de Lehman Brothers entraîne avec lui l’effondrement des marchés, y compris du marché de l’art. Plutôt que de continuer à travailler dans une ambiance sinistrée, Thierry tente sa chance en Inde, où il s’installe en avril 2009.

 

Des sensibilités différentes

L’idée de départ est de créer des meubles et les faire réaliser en Inde. Le concept est intéressant, mais « je n’ai pas choisi la facilité », reconnaît Thierry.

Ce n’est pas le manque de travail que craint le designer : les premières commandes arrivent d’ailleurs assez vite du Canada. À Bombay, le concept-store de luxe Le Mill, monté par deux Françaises et une Belge, lui commande une ligne de meubles.

intérieur design à Mumbai

Un appartement à Mumbai

Non, la difficulté vient plutôt de la délicate question de la fabrication. Si trouver des ateliers est facile, repérer les artisans qui comprendront le projet se révèle… compliqué : « Il y a non seulement un problème de langue, mais c’est très difficile de trouver des gens ayant la même approche et la même sensibilité. C’est vrai qu’ici, il n’y a pas d’équivalent au mobilier européen du XVIIIe siècle. Dans ma tête, j’avais quelque chose. Mais même si je leur montrais des photos, même en prenant un marteau et un ciseau pour expliquer ce que je voulais, pour eux, cela rendait quelque chose de différent… Je savais ce que je voulais. J’ai fini par l’obtenir, mais il y a eu des périodes assez douloureuses. »

D’autant plus que, travail de création oblige, les meubles sont composés de différents matériaux : « Je fais appel à des artisans différents selon qu’il faut travailler le bois, le métal, la pierre ou le ciment. Et tous doivent comprendre non seulement ce que je veux, mais aussi qu’ils font partie d’un ensemble plus large. »

 

Un savoir-faire exceptionnel

Pourtant, Thierry ne renonce pas : « Les artisans ici ont un sens exceptionnel du savoir-faire et du métier. » Encore faut-il les convaincre de travailler sur de petites quantités. « Ils sont payés à l’heure, à la journée. Leur intérêt, c’est d’avoir du volume à produire. » Sinon, difficile d’être prioritaire dans les ateliers : « Au début, j’ai dû attendre un mois pour avoir une chaise. »

Mais progressivement, à force d’expliquer et de montrer des références, Thierry a fini par trouver les artisans avec lesquels il prend plaisir à travailler. « J’ai aussi trouvé une équipe spécialisée dans le bois, avec une formation internationale. Pour certaines pièces, je travaille avec eux. Ils ont la maitrise et comprennent mon esthétique. »

 

 

Le design en Inde aujourd’hui

Des tendances différentes de l’Europe

Tattoo bar de Thierry Betancourt

Tattoo bar

Avec une expérience de plus de 5 ans en Inde, Thierry peut maintenant l’affirmer : « Je ne recommanderais pas aux gens de venir s’installer en Inde comme designer. Impossible de croître de façon exponentielle, à moins d’avoir un projet de production industrielle pour le marché indien ou d’exportation dans le reste de l’Asie, ce qui suppose, au bas mot, un investissement de plusieurs millions d’euros.

Car en terme de design, qui touche surtout les catégories les plus aisées, « le marché indien n’est pas encore prêt pour ce que l’on fait », constate Thierry.

Nombre d’Indiens fortunés restent fidèles au style indien. Les autres, ceux qui voyagent, ont tendance à copier ce qui se fait dans les hôtels de luxe occidentaux. Sans compter les tendances : il y a quelques années, la mode était au style néo-baroque, surchargé de dorures. À la fin des années 1990, la mode était au recyclage des plaques de chemins de fer. « On peut dater la restauration d’une maison d’après sa décoration », estime Thierry. Aujourd’hui, la tendance est plutôt aux lignes lisses et polies, des bois laqués dans le style d’Armani Casa.

En termes de créativité, « il n’y a pas encore de galerie de design. Mais ce n’est plus qu’une question de temps, estime Thierry. Dans 5 à 8 ans, il y aura un vrai marché ». Pour preuve, les Indiens suivent les tendances sur Internet et Instagram. Les géants du meuble sont également à l’affût. Ikea présent en Inde depuis presque 30 ans pour la production, est en train d’ouvrir ses premiers magasins après avoir longuement étudié le fonctionnement de cet immense marché potentiel.

En attendant, ce sont les architectes qui mettent le design en valeur. « Ils sont sensibles au design et n’ont aucune difficulté à proposer des choses nouvelles au client. » Il arrive également qu’à l’inverse, les architectes demandent aux designers de copier un meuble. Mauvais calcul, par exemple, dans le cas de Thierry où il arrive que la copie revienne plus cher que l’original.

 

Savoir se diversifier

La console araignée, exposée à la galerie Nilufar de Milan

La console araignée, exposée à la galerie Nilufar de Milan

Aussi depuis quelque temps, le designer n’hésite pas à s’orienter vers d’autres activités. Pour les entrepreneurs, c’est la raison sine qua non pour survivre en Inde. « Il faut savoir s’adapter, savoir balancer son business avec autre chose sous peine de ne pas survivre en Inde », affirme le consultant Emmanuel Balayer.

C’est le cas de Thierry  qui travaille, avec un associé indien, sur des collections de tissus d’ameublement et de tapis.

Devenu fin connaisseur du marché indien, il a décidé de l’aborder… de l’extérieur, et très précisément depuis Paris. « En matière de design et de décoration, il se passe beaucoup plus de choses à Paris qu’à Bombay. » Les clients viennent d’Europe, des Etats Unis et même d’Inde. « Les Indiens ont plus de respect pour ce qui est fait à l’étranger que pour des produits purement locaux. Les riches Indiens viennent régulièrement en Europe avec leur propre architecte. Et ils achètent sans discuter ni le prix, ni l’objet, alors qu’en Inde, ils demandent tout de suite des modifications, ce qu’ils ne font pas à Milan ou à Paris.» Sans compter le prestige d’un meuble ou d’un objet acheté à Paris ou à Milan.

S’il produit en Inde, Thierry peut bénéficier des avantages accordés par le gouvernement dans le cadre du « Make in India » qui incite les entreprises étrangères à venir fabriquer en Inde.

Les prochaines collections de Thierry Betancourt devraient être exposées aux prochains salon Paris Deco Off en janvier et au salon Maisons et Objet pour les professionnels. Sans oublier, bien sûr, la galerie Nilufar, qui présente certains des ses meubles à Milan.

Lien Permanent pour cet article : https://www.theindianproject.com/thierry-betancourt/

Manager des équipes indiennes : un exercice difficile pour les Français ?

Manager des équipes indiennes relève –quasi- de l’impossible, selon les cadres français qui s’y sont essayé. Côté indien, les Français apparaissent arrogants et autoritaires. Pour preuve, le taux de turn over dans les entreprises françaises est l’un des plus élevés en Inde.

Pourquoi Français et Indiens ont-ils tant de mal à travailler ensemble ? Est-il possible de surmonter ces difficultés ? Et surtout comment ?

 

Obligés de travailler ensemble

Délocaliser en Inde n’a plus rien d’exceptionnel : les coût sont encore relativement attractifs, malgré la concurrence d’autres pays comme la Malaisie, le Vietnam …Et on y trouve des compétences informatiques qu’on ne trouve pas en France souligne Nagapraveen Jayaprakash, expert en externalisation des services informatiques pour Dhanvika Consulting. « Mais quand il est question de rédaction des logiciels entre informaticiens français et informaticiens indiens, on a un problème» explique un analyste des relations économiques franco-indiennes. Ainsi, Cap Gemini est largement présent en Inde depuis longtemps, mais son activité est principalement dédiée à son marché anglo-saxon, en particulier les USA. Peu de Français sont finalement concernés.

 

Les entreprises françaises n’attirent pas

Une simple question de salaire ?

« Selon nos clients, c’est principalement une question de salaire qui entretient le turn over» explique le cadre d’un grand cabinet de conseil. Sachant que dans certains secteurs en Inde, les salaires augmentent de 10 à 15%, les entreprises françaises qui s’y implantent ne peuvent faire l’économie d’une politique salariale attractive pour garder leurs collaborateurs locaux.

Mais comment expliquer que le taux de turn-over soit de 20 à 25 % (voire 50%, dans les cas extrêmes) dans les entreprises françaises, contre 15 % dans des entreprises allemandes ou américaines implantées en Inde ? La question est cruciale : même si le pays compte 1,2 milliard d’habitants, trouver de la main d’œuvre qualifiée n’est pas évident.

La formation est au cœur des préoccupations dans un pays où le GER (Gross Enrolment Ratio, un indicateur sur le pourcentage d’étudiants poursuivant des études 2 ans après le bac) est de 19% (contre 60% en France). Et les meilleurs employés ne choisissent généralement pas de travailler pour des entreprises françaises.

 

Moins d’intérêt de travailler pour les Français que pour les Américains

Ce manque d’intérêt pour la France tient à la réputation. « En informatique, c’est plus intéressant de travailler pour des Américains. On a l’impression qu’on va apprendre plus de choses, être plus en pointe qu’avec des Français » explique Nagapraveen. « De plus, le cadre de travail n’est pas aussi facile dans une entreprise française que dans une entreprise américaine ».

 

Une approche rigide du travail

Beaucoup de règles, de processus… et peu de place pour la flexibilité. « Beaucoup de multinationales ont fait l’erreur de croire qu’elles pouvaient imposer leur mode de fonctionnement utilisé ailleurs » rappelle Alex Le Beuan. Or rien ne dit qu’il en sera de même en Inde.

«Quand les expatriés débarquent », acquiesce Frank Barthélémy, « ils ont l’impression qu’il faut mettre son doigt partout autrement ça ne marche pas. L’Inde ne les a pas attendu pour fonctionner, les entreprises non plus. A priori, on peut travailler différemment. Il faut le comprendre, sinon on se noie dans le micro-management et on n’en sort pas. »

 

Un manque d’intérêt pour le pays lui-même

Comprendre le fonctionnement de l’Inde, c’est aussi aller chercher du côté de la culture indienne. Paradoxalement, « la plupart des gens que j’ai rencontrés qui travaillent avec l’Inde ne s’intéressent pas à la culture indienne » explique Nagapraveen. Une erreur selon les Indiens, qui « sentent quand les gens ne sont là que pour travailler. Ils savent que, si se présentent d’autres opportunités, l’expatrié partira. Et s’ils n’ont pas confiance, les gens ne vont pas vouloir travailler avec vous. »

Mais par où commencer ?

 

Des difficultés liées à la culture du pays

Un subtil équilibre religieux et sociologique

Interculturel diwali- ©vijayvagh590

Diwali ©vijayvagh590

Dès le recrutement, la sociologie joue un rôle : il faut veiller à garder un équilibre religieux et communautaire, au risque, sinon, d’être taxé de communautarisme. « Si je ne recrute que des musulmans, des hindous vont venir me demander des comptes. Vous avez beau dire que les musulmans étaient les meilleurs candidats pour le poste, ce n’est pas une réponse acceptable » explique Frank Barthelemy. Il y a aussi une raison pratique : si vous avez une majorité de musulmans, et vous ne pourrez pas travailler pendant le Ramadan ; une majorité d’employés hindous et vous ne verrez personne pendant Diwali.

La famille a également son mot à dire sur l’entreprise et pourra pousser son fils ou sa fille à partir si se présente quelque chose de mieux ou de plus prestigieux par ailleurs.

 

Le respect de la hiérarchie… et ses conséquences

« À la maison, on apprend à respecter des règles, les hiérarchies, l’autorité patriarcale. À l’école, l’enseignement se fait par l’apprentissage des connaissances par cœur, et non par l’apprentissage de la réflexion. En cela, ils diffèrent totalement des méthodes d’enseignement européennes, et plus encore françaises, fondées sur la réflexion, la construction logique » explique Alex Le Beuan. Bien sûr, il y a des exceptions : qui a reçu une éducation différente ou fait des études à l’étranger peut se montrer très novateur et flexible. Mais il s’agit encore d’une minorité.

Conséquence, les employés indiens sont dans la pure exécution. Inutile d’attendre d’un employé indien qu’il apporte des idées, explique Alex, ça, c’est le rôle du patron d’être innovant ! C’est lui le chef, qui donne l’instruction et dont on ne remet pas en question les décisions.

 

Personne ne vous dira non

Règle de politesse absolue, en Inde comme dans le reste de l’Asie, personne ne vous dira non. Ce qui signifie qu’au travail, les employés sont incapables de dire ce qui ne va pas ou d’aller au « conflit », comme en Europe. « Plutôt que de discuter, ils préfèrent rompre et disparaître ».

 

Une répartition du travail différente

Ajoutez à cela qu’il y a plus de personnes à manager en Inde qu’en France, en raison d’une main d’œuvre bon marché. « Pour une équipe de 10 personnes en France, on aura une équipe de 20 à 25 personnes en Inde », explique Frank Barthelemy. « Mais ce n’est pas équivalent à ce qu’on trouve en France. Il y a, en Inde, davantage de gens employés à des petits boulots : faire le thé, des photocopies. Avec une telle population, cela fait partie du pacte social des entreprises d’embaucher un maximum de main d’oeuvre. »

 

Quelles solutions pour manager ses équipes en Inde ?

Beaucoup d’échecs sont imputables à des erreurs de management. Il est plus simple, et plus économique aussi, pour l’entreprise de chercher à s’adapter aux habitudes indiennes. « Quel intérêt d’exiger que chacun arrive à 8h30 le matin, si de toute façon les employés préfèrent rester plus tard le soir ? » demande Alex

 

Place au middle management

Et l’adaptation passe par des relais efficaces « Il faut avoir une bonne équipe de middle managers qu’on forme dès le départ, quand on monte son entreprise, qui vont aller vérifier pour nous que tout est fait comme on le souhaite, explique Frank Barthelemy. Ces middle managers ne doivent pas être sous-estimés. Ils sont importants dans les équipes. Ils peuvent être jeunes, avoir seulement un an de plus que les autres, mais il suffit qu’ils soient plus alertes, qu’ils comprennent vite les problématiques et c’est là-dessus qu’il faut compter. On ne peut pas tout faire tout seul. »

 

Être clair dans ses attentes et ses besoins

Si on est clair dans ses attentes et dans les processus, cela donne de bonnes bases pour savoir si on peut travailler ensemble, insiste Nagapraveen. « Dans les grosses structures, bien maîtriser le métier et son langage, cela représente 50% de la réussite. Or ce n’est pas forcément le cas et les échanges peuvent être difficiles Car beaucoup de gens n’ont pas les bonnes bases du métier. »

 

Former, former et encore former

C’est un enjeu majeur pour les entreprises. D’une part, parce que même si le pays rengorge d’ingénieurs, ceux-ci n’ont pas forcément le niveau auquel s’attendent les recruteurs français. D’autre part, parce que dans un pays où l’éducation fonctionne à plusieurs vitesses, les entreprises indiennes ont pris l’habitude de former en interne leurs futurs employés, dans ce qui ressemblent énormément à des campus universitaires.

Sans aller jusque-là, il ne faut pas hésiter à former sur le tas, à répéter sans relâche, conseille Nagapraveen : « Cela prend du temps, mais cela finit par payer à long terme, même si à court terme, il semble que cela ait peu d’effets ». Les employés eux-mêmes sont demandeurs. Les usines Hyundai, au Tamil Nadu ont des employés fidèles, explique un consultant en ingénierie, justement parce les Coréens disent exactement comment les choses doivent être faites. Et les Indiens apprécient.

Industries de Pune ©Tushar

Industries de Pune ©Tushar

La formation, c’est aussi le choix d’Alexandre Ramat dans son usine de Pune. Après une sélection rigoureuse, « chaque employé suit une formation individuelle. Un tableau de compétences individuelles est affiché. Les gens sont contents : ils ont leur nom et leur photo affichés, ainsi que l’évolution de leurs compétences. Pour eux, ce n’est pas du flicage, mais une aide, une direction à suivre. »

 

Une flexibilité décuplée

C’est maintenant connu, les équipes indiennes, bien organisées et bien managées sont extrêmement efficaces. « En Inde, des entreprises peuvent travailler 24h/24 et 7 jours /7, et sont très réactives, ce à quoi on n’est pas habitué en France » rappelle Nagapraveen. Lors de ses formations auprès d’équipes indiennes, « je le leur répète : si vous travaillez avec des Français, montrez que vous êtes flexibles, ça les motive pour bosser avec vous. Je les sensibilise aux besoins des Français pour montrer comment travailler de façon efficace. »

Cette flexibilité, Dimitri Klein en fait régulièrement l’expérience « si on propose à quelqu’un de Delhi un job à Pondichéry, il sera là dans les deux jours, avec armes et bagages. Si au bout de deux mois, il aime le job et que les choses marchent bien, il fera venir sa famille. Il est beaucoup plus difficile de convaincre un Français de déménager pour son travail. Les Indiens font preuve de bien plus d’adaptabilité, de mobilité. »

La productivité indienne pourrait-elle finalement être améliorée grâce à des efforts de management ? « On a souvent l’impression que la productivité per capita est moins bonne ici, rappelle Frank Barthelemy. Selon moi, ce n’est pas sûr. On ne fonctionne pas de la même façon. En Inde, par exemple, si demain j’ai besoin d’un rapport de 150 pages, mon équipe est ok pour travailler toute la nuit et le lendemain, j’ai mes 150 pages sur mon bureau. En France c’est impossible, j’aurais les syndicats sur le dos… C’est le génie de l’Inde d’être aussi flexible. » Une flexibilité dont les Français auraient tort de ne pas tirer parti.

Lien Permanent pour cet article : https://www.theindianproject.com/manager-equipes-indiennes-exercice-difficile-francais/

Load more

%d blogueurs aiment cette page :