Réaliser un documentaire sur Terence Lewis, célèbre chorégraphe indien : l’idée n’est pas banale. Elle l’est encore moins lorsqu’elle émane d’un jeune Français qui n’avaient a priori aucun rapport avec l’Inde. Comment cette aventure aussi incroyable qu’hors du commun est-elle née ? Rencontre avec le – jeune – réalisateur, Pierre X. Garnier.
Une vocation pour le cinéma
Comment avez -vous décidé de réaliser un documentaire sur un chorégraphe indien comme Terence Lewis ?
Avec mon ami d’enfance, José, nous sommes passionnés de cinéma. Depuis l’âge de 16 ou 17 ans, alors que la plupart des lycéens ne savent pas trop ce qu’ils veulent faire plus tard, nous savions déjà que nous voulions monter notre boite de production.
A l’âge de 18 ans, nous avons créé à Rennes – dont nous sommes originaires – le festival 7ème Lune. Il s’agit d’un festival réservé aux jeunes réalisateurs de moins de 30 ans venus du monde entier qui peuvent présenter des courts ou des longs métrages.
Le festival existe depuis 2014 et ne cesse de prendre de l’importance. Il est parrainé par Gilles Jacob, l’ancien directeur du Festival de Cannes. Et parmi les présidents du jury, nous avons accueilli Arnaud Despleschin, Cédric Klapisch….
Entretemps, José est entré à la FEMIS. Et moi, j’ai fait une école de commerce à Bordeaux. Nous avons donc la double compétence : théorique et artistique avec José, business avec moi. Nous avons déjà en projet deux courts-métrages et un long-métrage qui sera réalisé par un réalisateur indien que nous avons rencontré dans le cadre du festival.
Terence Lewis, rencontre improbable mais amitié durable
Comment avez-vous rencontré Terence Lewis ?
Je l’ai rencontré alors que je travaillais comme saisonnier dans le restaurant d’un camping à Porto-Vecchio, en Corse il y a trois ans.
C’était en plein été et il y avait des problèmes de réservation. Son bungalow n’était pas libre. J’ai été chargé de lui proposer de le loger dans une tente. N’importe qui se serait énervé. Et c’était le cas pour d’autres personnes qui avaient réservé. Mais pas lui. Il était très calme et tranquille et m‘a répondu “il n’y a pas de problème, ce sera une expérience…” Il est resté une semaine entière.
Nous avons discuté pendant que je l’installais et j’étais assez intrigué. Très beau et très musclé, il me parlait de Jean-Pierre Genet, de David Lynch et de philosophie.
Danseur reconnu à Bollywood, il est aujourd’hui très connu après avoir participé à un show télévisé, Dance India Dance où il faisait partie du jury. Le public a découvert un personnage intellectuel, mais très drôle auquel il ne s’attendait pas.
Il est connu par 1 milliard de personnes dans le monde. Mais il est aussi connu pour son humilité. Il est gentil, très accessible et ne refuse jamais un selfie ou de signer des autographes. Les gens l’apprécient aussi pour cela.
L’évidence du documentaire
Et d’où est née l’idée d’un documentaire ?
José et moi l’avons invité au festival 7ème Lune en qualité de juré. Puis avec José, nous avons fait un premier voyage en Inde. Nous habitions chez lui et nous avons découvert son univers… mais sans lui. Il était à Vienne pour son travail. Nous avons beaucoup discuté avec les gens qui le côtoient. Que pensaient de lui son chauffeur, ses employés… ?
Nous sommes retournés en Inde avec une caméra pour passer 3 semaines, avec lui et découvrir le milieu de Bollywood. Nous avons filmé des moments de sa vie qui font partie du quotidien : certaines performances, les mariages où il est intervenu, des show TV auxquels il était invité. Il y avait un énorme potentiel dont il fallait faire quelque chose. Et entre temps, c’est devenu plus qu’un ami, une sorte de grand frère pour nous. Nous sommes partis en vacances ensemble. Lorsqu’il vient à Paris, il habite chez nous.
Terence Lewis, un destin hors du commun
Qu’est-ce qui vous a fasciné chez lui ?
Il a une personnalité très particulière et sa vie est extraordinaire. Parti de rien., il est né dans une famille très pauvre de la banlieue de Bombay. Ils vivaient à 8 dans 15 m2. A 8 ans, il faisait une heure et demie de train pour aller laver la salle de danse, les toilettes, afin de pouvoir suivre une heure de cours de danse gratuitement. Il est allé à New York où il a travaillé dans des bars et exercé divers petits boulots pour pouvoir payer ses cours de danse.
Aujourd’hui, il a réussi. Il a mis au point un type de danse mêlant danse contemporaine et danse traditionnelle indienne. Il a monté sa propre compagnie qui se produit dans le monde entier.
Sa vie est extrêmement réglée : quel que soit son emploi du temps, il est debout à 6.00 du matin et débute sa journée par une séance de yoga. Tous les jours, il danse, règle des chorégraphies, gère son image (à quel show participer … ou pas). Il vit comme n’importe quelle star, se rend aux soirées de Bollywood, aux remises de prix. Mais il s’en va toujours vers minuit. C’est nécessaire pour son image, pour les médias. Mais en le côtoyant, on se rend rapidement compte que ce Terence Lewis superstar, ce n’est pas vraiment lui.
L’énigme Terence Lewis
Alors qui est Terence Lewis ?
Il a beau être très connu et faire des tournages toute la journée, il reste égal à lui-même. Par exemple sur le show de Dance India Dance, il reste seul, calme et serein au milieu de l’agitation des plateaux télé..
Le mot qui le définit le mieux, c’est « paradoxal ». On ne le cerne pas. Il semble toujours réticent au départ à participer aux show… Quand il arrive, il est un peu grognon. Mais au bout d’un quart d’heure, il rayonne littéralement sur scène. Il s’habille dans les petites échoppes de Bandra- un quartier de Bombay, ce qui ne l’empêche pas de porter des mocassins Hermès, un sac Vuitton etc… Quand il sait qu’il doit aller à un endroit où les médias l’attendent, il prend son 4×4 luxueux, mais le reste du temps, il circule dans une voiture toute simple.
Un tournage intense
Comment Terence Lewis a-t-il réagi à votre projet de le filmer ?
Nous lui avons proposé de le filmer il y a à peu près un an : « Nous voulons faire un film sur toi : pas la star, mais le Terence Lewis mélancolique, dans la vie quotidienne. » Il nous a donné carte blanche.
Un tournage … formateur
Comment s’est déroulé le tournage ?
Je suis venu en Inde pendant 3 mois avec un chef opérateur et un réalisateur. Nous avons décidé de le filmer sans bien savoir ce que cela allait donner.
Ce voyage a été un choc humain et professionnel. Nous avons suivi Terence et son rythme de vie est intense. Il prend l’avion tous les 2-3 jours. Et le filmer n’est pas facile. Au début on lui envoyait des messages pour savoir où il était. Mais nous avons rapidement senti qu’il ne voulait plus répondre. Nous nous sommes donc mis d’accord avec son chauffeur, son agent, ses employés pour savoir tout le temps où il était. On le filmait tous les deux-trois jours, un peu partout. Parfois il tombait sur nous sans s’y attendre : « Mais qu’est ce que vous faites là ». Nous avons-nous aussi réussi à le surprendre.
Au début il ne comprenait pas notre intérêt pour son quotidien. Mais nous voulions montrer l’homme seul, mélancolique, en back stage, en train de se préparer ou après le show, en train de travailler ou en résidence d’artiste. Nous ne l’avons jamais filmé en pleine lumière, sur scène ou en représentation.
Au départ, devant notre caméra, il continuait à se mettre en scène, à à faire l’acteur. Il était too much heureux, too much gentil, too much bienveillant… Mais au bout d’un mois et demi, il a fini par oublier notre présence. Nous avons pu mener ce qui s’apparente à un travail d’introspection sans qu’il en soit conscient.
Sa réaction ?
Il a vu le film non monté. Il nous a dit que le tournage a été « la meilleure thérapie de ma vie ». En essayant de montrer le Terence mélancolique qu’il ne voit pas lui-même.
Une héroïne : l’Inde
Vous dites que ce film est aussi un hommage à l’Inde ?
Humainement, cette expérience m’a formée. J’ai construit un lien fort avec Inde : j’y ai passé les 3 mois les plus beaux de ma vie. J’ai des souvenirs incroyables, des rencontres exceptionnelles. Ce film est donc aussi un hommage à l’Inde. Dans ce film, j’ai choisi des plans longs, peu d’interview, pas de voix off. L’idée est que chacun puisse s’emparer du documentaire comme il l’entend.
A qui s’adresse-t-il ?
Le documentaire est en anglais et hindi. Je le fais pour les Indiens, mais je voudrais qu’il aille au-delà de l’Inde. Je souhaite qu’il parle aussi à ceux qui ne connaissent pas Terence Lewis. On pourrait le définir comme une étude psychologique d’une star de la danse en Inde ; ou comme une approche critique de Bollywood et bien sûr, un hommage vibrant à l’Inde contemporaine.
Terence Lewis, Indian Man en avant première le 17 janvier au Grand Rex à Paris