Le vin en Inde est un marché prometteur mais loin d’être mature.La tendance s’affirme depuis des années… Et pourtant le décollage attendu se fait attendre. Un nouveau paradoxe indien? Ou opportunité à se lancer sur un marché encore de niche mais plus pour longtemps ?
Une tendance incroyablement encourageante
Depuis des années, l’Inde apparaît comme l’un des marchés les plus importants au monde pour les exportateurs de vin. On estime à 250 millions le nombre de consommateurs potentiels. En dépit de la taille du pays, l’Inde n’est que le 5ème marché de consommation de vin en Asie.
Côté champagne, les exportations augmentent : plus de 59% en volume et plus de 63% en valeur. Mais l’Inde reste seulement le 34è marché d’exportation des producteurs de champagne. Moins de 400 000 bouteilles ont été exportées en Inde en 2017.
Il coule pourtant à flots dans le sous-continent : L’Inde a consommé 15 millions de litres en 2014, selon le Wine Institute et plus de 41,4 millions de litres en 2017. Ce qui représente tout de même 0,17% de la consommation mondiale, en 2018 selon l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV).
Un chiffre à relativiser cependant. Rapportée à la population totale (1,3 milliard d’habitants), cela reste très peu : 0,030 litre par personne. Seulement 2% des Indiens déclaraient consommer du vin en 2016.
Tous les espoirs restent permis. En 2018, Times of India estimait que le marché indien du vin devrait doubler de taille tous les cinq ans. Une étude menée en 2017 par le cabinet IWSR (International Wine and Spirit Research) pour Vinexpo tablait sur une hausse de la consommation de vin de 49,7% entre 2016 et 2020, soit la plus forte croissance de consommation de vin au monde.
La consommation de vin en Inde, un fait très largement urbain
Autre fait encourageant : le vin connait la plus forte croissance, parmi les alcools et spiritueux. Entre 2015 et 2016, les ventes de vin ont augmenté de 15%, la bière de 9% et les spiritueux de 4%.
Mais ce sont toujours le whisky, la bière, le rhum, qui qui continuent de dominer le marché, en dépit d’une offre toujours plus diversifiée en matière de vins, qu’ils soient importés ou même produits localement.
Plus de 80% de la consommation nationale de vin se concentre dans les États de Maharashtra et du Karnataka. Mumbai, à elle seule représente 32 % de la consommation nationale ; Delhi et Gurgaon, 25%; Bangalore, 20%; Pune, 5% et Hyderabad, 3%.
La répartition est peu étonnante. D’autant plus que certains Etats limitent voire interdisent la consommation d’alcools, notamment le Gujarat, le Bihar mais aussi le Kerala.
Mais encore en phase d’apprentissage
Hôtels, pubs et restaurants sont des acteurs majeurs de la stratégie visant à populariser le vin. Dîners, programmes éducatifs, événements autour de dégustations permettent aux consommateurs de se familiariser avec les différents styles, régions et cépages.
Une stratégie bien rodée, Selon Sumedh Singh Mandla, PDG de Grover Zampa Vineyards. «L’éducation et l’exposition au vin sont très importantes pour nous. Cela nous aide à développer l’industrie dans son ensemble. Nous investissons donc beaucoup de temps et de ressources pour éduquer non seulement le consommateur, mais aussi le secteur de l’alimentation et des boissons et d’autres partenaires impliqués dans la segmentation de l’entreprise. La publicité [de l’alcool] n’est pas autorisée en Inde et, par conséquent, nous devons passer par des formes de publicité de substitution – telles que des visites et des événements – pour informer les gens sur le vin et augmenter la consommation. Cela rend le processus beaucoup plus long. »
Une grosse partie du budget marketing des vignobles est donc consacrée à des événements de découverte et de dégustation afin de développer le marché.
Une classe moyenne de plus en plus intéressée par le vin
L’intérêt est cependant bien présent. Même s’il est porté par une minorité de la classe aisée – soit environ 30 millions de personnes souligne l’étude mondiale Vinitrac.
Fait inattendu, ce sont les femmes, notamment qui tirent en avant la consommation de vin. Considérée comme une boisson plus sophistiquée que le whisky ou la bière, le vin apporte une image d’élégance et de raffinement qui convient aux femmes citadines, professionnelles et indépendantes.
La jeune génération est également un moteur de croissance. Selon Gurjit Singh, négociant pour la société Wi-Not à New Delhi, « le marché est en pleine croissance. la jeune génération a voyagé à l’étranger et a envie d’avoir des moments agréables en buvant du vin« , analyse-t-il.
Un peu comme la Chine il y a 15 ans explique Sonal Holland, seule Master of Wine en Inde. Mais l’Inde parviendra-t-elle au niveau actuel de la Chine ?
Ayant exercé ses talents d’œnologue pendant quelques années à Chennai, Dominique Besnard remarque lui aussi que les Indiens n’ont pas forcément le côté “flambeur” de certains Chinois. Ces derniers n’hésitent pas à s’offrir une bouteille à 300 €. En Inde, “les gens ne voient pas l’intérêt d’acheter des vins chers s’ils peuvent trouver un équivalent moins cher ailleurs.”
Quels vins plaisent aux palais indiens ?
Pour la plupart des consommateurs indiens, un vin international sera meilleur qu’un vin indien. Ils n’ont pas encore une culture affinée des différents cépages.
Mais une part croissante d’entre eux, estime Dominique Besnard, apprécie vraiment le vin et ont des goûts plus affirmés. « Les Indiens préfèrent le sucré, les épices, explique-t-il. Ils n’aiment pas l’acidité. Les vins rouges tanniques ont du succès auprès des hommes, de même que les vins sucrés. Les vins blancs trop secs en revanche ne séduisent pas.”
Même s’il est encore peu courant, les spécialistes estiment que le vin rosé aurait toute sa place en Inde. Il a tous les avantages : frais et facile à boire et à conserver. Il pourrait convaincre plus facilement que le vin rouge dont la conservation est plus délicate. Chandon India a ainsi lancé un vin rosé pétillant, vendu comme vin de fête.
Les goûts évoluent avec les nouvelles générations. De même que le rapport avec la nourriture. Les trentenaires indiens sont d’aujourd’hui n’ont plus les mêmes goûts que leurs parents. Le vin fait son apparition au cours des repas. Jusque-là, on le buvait surtout avant, comme les autres alcools.
L’attraction des vins internationaux
En termes d’origine, les vins français ont une image de prestige, de haut de gamme. Le début et le moyen de gamme sont occupés par les vins d’autres pays. Les vins australiens, chiliens, argentins, sud africains, moins chers, demeurent plus accessibles.
Nombre d’Indiens partent du principe que tout ce qui est international sera de qualité supérieure. Ils préféreront les vins étrangers d’entrée de gamme, par opposition aux vins indiens.
A tort. La production indienne est de plus en plus reconnue même au niveau international.
Une production locale en croissance
La production de vin est loin d’être une nouveauté en Inde. Les premières traces remontent à la civilisation harappéenne dans la vallée de l’Indus, il y a plus de 4 000 ans. Pendant longtemps la consommation de vins ou d’alcool en général et jusqu’à récemment, était liée aux rituels religieux.
Dès les années 90, l’Inde a commencé à produire son propre vin afin d’alimenter un marché naissant. La consommation indienne s’élève aujourd’hui à 1,2 million de bouteilles locales et 200 000 bouteilles importées
Non soumis aux taxes d’importation, l’avantage des vins indiens est immense sur un marché parfois plus sensible au prix qu’à la qualité. La surface du vignoble indien a doublé entre 2000 et 2015 pour atteindre 120.000 hectares, situés, en grande partie entre Nashik et Pune dans le Mahārāshtra et Bangalore.
Une amélioration de la qualité
Certes, la vinification diffère des climats plus tempérés.“Le climat est peu propice à la vigne” estiment Dominique Besnard. Et la vinification est plus adaptée aux vins blancs qu’aux rouges.
Il n’est pas question pour autant de sous-estimer la qualité des vins indiens. « Nous avons fait des progrès au cours des cinq à dix dernières années en ce qui concerne la qualité du vin. Que ce soit dans le secteur blanc, rouge ou mousseux, nous avons atteint une qualité où nous pouvons rivaliser avec les vins internationaux » explique Sumedh Singh Mandla de la marque historique Grover. Ainsi, l’un des producteurs de vins indiens historiques, Grover Zampa a remporté près de 80 prix internationaux. Il exporte aujourd’hui vers plus d’une trentaine de pays.
Depuis quelques années, une autre marque a pris la position de leader sur le marché indien : Soula Wines, créé et dirigé par Rajeev Samant, originaire du Nashik. Il possèderait désormais 60% des parts de marché de la production de vin indien. Une concurrence qui démontre que les Indiens eux-mêmes croient au potentiel du vin dans leur pays.
Et la présence d’acteurs étrangers
D’autres acteurs étrangers testent le marché de façon plus directe. Toujours à Nashik, Moët Hennessy a ainsi lancé la version indienne de Chandon, une gamme de vins pétillants. Elle s’appuie sur la collaboration entre une équipe de viticulteurs locaux et internationaux. Ensemble, ils ont travaillés des raisins locaux, suivant la « méthode traditionnelle » champenoise.
Chandon est considéré comme un vin de fête indien à un tarif local. Utilisant la renommée de la maison de champagne, à l’attrait d’un tarif accessible, la marque cherche à atteindre un public plus large que les vins traditionnels. Moët Hennessy n’en est pas à son coup d’essai. Nashik est la 6e « winery » ouverte par le groupe pour produire localement du mousseux après l’Argentine, le Brésil, l’Australie, la Chine, et la Californie.
Des freins majeurs
Ce sont eux qui expliquent que les importations et la distribution de vins et de champagne venus de l’étranger soient majoritairement le fait de géants des vins et spiritueux.
Les taxes fédérales peuvent être de l’ordre de 150 %. Avec la GST, vous devrez vous en acquitter à l’avance, dès l’importation. Et l’ajouter à votre prix de vente sur place. Il faut aussi compter avec les droits de douane locaux décidés par chaque Etat du pays et qui peuvent aller jusqu’à 30 % du prix final.
L’Union Européenne et l’Inde seraient en négociation pour abaisser ces droits de douane. Mais il n’y a rien de concret pour l’instant. L’alcool reste une source majeure de revenus pour l’Etat indien.
Un autre frein majeur, souligne Dominique Besnard, porte sur le transport et la conservation des vins. Une fois arrivés en Inde, il est probable que le vin sera transporté en camion sur les routes indiennes, ce qui peut nuire à sa qualité.
La question de la conservation se pose : de nombreux wineshops ne disposent pas encore de l’air conditionné. Et la chaleur intense dans de nombreuses régions est rédhibitoire pour la conservation du vin. Surtout s’il y est exposé durant plusieurs semaines.
Attendre que le marché du vin mûrisse
“Nous devons arrêter de chercher des gains immédiats et attendre que le marché émerge et mûrisse. Le nombre réel de cas vendus en Inde peut ne pas être proche des marchés américain et européen, mais son potentiel à émerger comme l’une des plus grandes régions viticoles est ce qui attire les viticulteurs mondiaux à faire une percée ici » estimait Christian Barré, alors PDG de Pernod Ricard Winemakers, il y a quelques années. Force est de constater la justesse de ses propos qui se vérifient encore aujourd’hui. En Inde, la patience est la clef de la réussite.
Le marché indien vous attire mais vous ne savez comment vous y prendre ? Abraham Thomas, d’India Direct aide les plus petits producteurs -récoltants à commercialiser leur produits en Inde à travers sa structure de distribution indienne.